L'issue du "Grenelle" contre les violences conjugales : le bon chemin, mais jamais l'aboutissement ?
Publié le :
10/06/2021
10
juin
juin
06
2021
Echelle de ludique (1) à technique (5) : 3
Les lois n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 "visant à agir contre les violences au sein de la famille", et n° 2020-936 du 30 juillet 2020 "visant à protéger les victimes de violences conjugales" ont apporté d'incontestables améliorations. Jamais assez, pour les associations de protection de ces victimes, qui mènent il est vrai un combat gigantesque.
"Vite une nouvelle ordonnance de protection !" écrit la doctrine (AJ Famille 2021, p 479, Anne Sannier, Guillame Barbe), à peine celle-ci renforcée par les lois précitées. Quelle ingratitude envers le législateur...
Pourtant, ces mêmes auteurs reconnaissent que celui-ci vient d'offrir "un véritable arsenal de dispositions nouvelles".
A commencer par de multiples améliorations techniques de l'ordonnance de protection : il est expressément indiqué (même si juridiquement c'était déjà le cas) que sa délivrance n'est pas conditionnée au dépôt d'une plainte (art. 515-10 CC) ; les frais afférents au domicile conjugal pourront être supportés par le conjoint présumé violent, alors même qu'on l'en chasse (art 515-11, 3° CC) ; si l'ordonnance ne prononce pas une interdiction de contact, ou ne soumet pas le droit de visite et d'hébergement de ce même conjoint à une médiatisation, elle doit le motiver (art 515-11, 2°, 4°, 5° CC), etc.
Mais surtout, une amélioration des délais, qui est toujours la question centrale en matière judiciaire. Ainsi, le juge doit rendre son ordonnance dans le délai de 6 jours à compter de la fixation de la date d'audience (même si la loi n'assortit pas cette prescription d'une sanction particulière). De même, afin de réduire les hypothèses de rejet de la demande de protection qui mèneraient à un néant décisionnel, le juge peut renvoyer à une audience prochaine le soin de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale (car ça reste à faire, même quand il n'a pas accordé de "protection").
Ce n'est pas tout, d'autres améliorations ont été décidées, hors ordonnance de protection. Ainsi, le juge pénal peur retirer l'autorité parentale au parent violent lorsqu'il le condamne (art 221-5-5 et 222-48-2 CP) - et en matière de crime, s'il ne le fait pas, il y a de plein droit une suspension de 6 mois au moins dans l'attente d'une décision du JAF (art 378-2 CC).
Il n'en reste pas moins que le "socle" de l'ordonnance de protection reste inchangé, et notamment la double condition de "vraisemblance des faits commis" et de "danger" (art 515-11 CC), à l'origine d'un nombre non négligeable de rejets, dont la doctrine n'a pas manqué de rappeler des exemples spectaculaires.
Aussi, les plus "militants" des auteurs n'hésitent pas à demander des mesures à côté desquelles la réforme paraît effectivement bien timide : suspension automatique des droits de visite et d'hébergement du parent présumé violent ; suppression de la notion de danger parmi les conditions de l'ordonnance ; découplage de la procédure en deux temps avec une première décision automatique d'interdiction de contact, puis le débat sur le fond ensuite, etc. Pour avoir vu quelques demandes d'ordonnances de protection totalement instrumentalisées, je ne souscrits pas du tout à de telles mesures.
En revanche, je ne peux que m'associer aux demandes allant dans le sens d'un meilleur travail des juridictions, même si certaines relèvent, au mieux du doux rêve, au pire de la vampirisation de la capacité de travail judiciaire (délai impératif de deux mois en appel, présence effective du Parquet, notification allégée des ordonnances, etc).
Quoi qu'il en soit, tant que le nombre de victimes de violences conjugales sera aussi élevé, il est légitime que le chantier législatif soit ouvert en permanence.
Postérité de cet article (20/08/23) :
Sept après une première étude statistique sur les ordonnances de protection, le Ministère de la Justice en a publié une deuxième (Infostat n° 192, juin 2023), qui confirme l'impact de la réforme à travers l'augmentation continue du recours à cette procédure (1.637 en 2011, 5.901 en 2021), mais aussi, par exemple, à travers la baisse de la part des défendeurs assistés par un avocat (59 % en 2019, 52 % en 2021), probablement en raison des délais accélérés, comme quoi il faut toujours regarder les deux faces de la médaille avant de se féliciter d'une mesure. A noter que le taux d'acceptation des demandes de protection a augmenté (64 % en 2019, 67 % en 2021), sans qu'on doive ici y voir un succès ou un échec.
Historique
-
La Charte de présentation des écritures est-elle vraiment dangereuse ?
Publié le : 06/02/2023 06 février févr. 02 2023Droit civil / Procédure civileSur la photo du site de la Cour de cassation, on a l'impression que c'est un parchemin géant qui fait la moitié de la hauteur de ses signataires, mais c'est probablement un effet de la perspective, parce qu'elle est prise au premier plan. Cela n'en symbolise pas moins l'écho que le Haute juridict...
-
Se constituer partie civile devant le Juge d'instruction, un droit toujours plus théorique
Publié le : 02/02/2023 02 février févr. 02 2023Droit pénalDans le cadre du mouvement de réformes consistant à délester la Justice de presque toutes ses missions afin de (théoriquement) raccourcir ses délais de jugement (ce qui ne se passe absolument pas), la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 permet désormais au juge d'instruction de refuser d'instruire, s...
-
Cachez moi ce patrimoine que je ne saurais voir
Publié le : 02/11/2022 02 novembre nov. 11 2022Droit de la familleLes époux ayant "vocation" à un partage égalitaire en communauté, peu importe qu'ils en reçoivent trois sous ou des millions, nous dit la Cour de cassation. Lorsqu'il détermine le montant de la prestation compensatoire, le juge doit ignorer cela. Un aveuglement complet. A l'heure où les França...
-
L'issue du "Grenelle" contre les violences conjugales : le bon chemin, mais jamais l'aboutissement ?
Publié le : 10/06/2021 10 juin juin 06 2021Droit de la familleEchelle de ludique (1) à technique (5) : 3 Les lois n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 "visant à agir contre les violences au sein de la famille", et n° 2020-936 du 30 juillet 2020 "visant à protéger les victimes de violences conjugales" ont apporté d'incontestables améliorations. Jamais assez,...
-
100 % des gagnants ont tenté leur chance
Publié le : 06/10/2020 06 octobre oct. 10 2020Droit pénalSi c'est (heureusement) rarement gagnant de demander n'importe quoi à un juge, c'est (hélas) rarement coûteux ; alors beaucoup ne se gênent pas. Combien de fois un client a déboulé dans mon bureau, affolé de recevoir une assignation demandant sa condamnation à 15.000 € pour avoir simplement ra...
-
De la "garde d'enfants" au temps du coronavirus
Publié le : 30/03/2020 30 mars mars 03 2020Droit de la familleSur ce plan là, on peut dire que le gouvernement n'aura pas trop traîné pour tarir la source de nombreux litiges potentiels... même s'ils se poseront quand même. Par décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, ont été élevés au rang d'exceptions admises à l'interdiction des déplacements, ceux entrepri...
-
On ne peut pas toujours avoir le gîte et le jugement
Publié le : 17/01/2020 17 janvier janv. 01 2020Droit civil / Procédure civileDans cette affaire, j'ai pu soulever avec succès la prescription de la demande adverse en remboursement d'une somme versée par elle à mon client il y a des années... et qui de toute façon, était causée par une contrepartie. Je pense que la partie adverse ne gardera pas un bon souvenir de cette...
-
Médiation, piège à con ?
Publié le : 20/06/2019 20 juin juin 06 2019Droit de la familleQuand déposer une simple requête en augmentation de pension alimentaire devant le Juge aux affaires familiales d'Evry devient plus compliqué qu'un divorce entier. Et d'un seul coup, je perds mon calme devant ce Juge, et "j'ose" lui parler d'un "déni de justice" (dans ma tête, je pensais à pire...
-
Du choc culturel en assistance éducative
Publié le : 10/04/2019 10 avril avr. 04 2019Droit civil / Procédure civileParfois, il faut juste un peu de temps pour que le tribunal se fasse au mode de vie de notre client. C'est vrai que ma cliente parle fort. Une tornade zaïroise, le verbe haut, à se fâcher rapidement avec tous ceux qui ont le malheur de la contrarier. Mais ce n'est qu'une façon de s'exprimer, e...