Le vent du boulet

Le vent du boulet

Publié le : 20/09/2012 20 septembre sept. 09 2012

La définition d'un poste à responsabilité peut aussi avoir des implications pénales

Quand votre fils intègre une prestigieuse école d'ingénieur française, ce n'est pas pour vivre un drame.

Vous pensez qu'il va connaître ses plus belles heures. Vous le voyez arriver sur son campus, avec ses quelques livres, vêtements, affaires de sport, qui tiennent dans pas grand chose - la richesses sera d'abord immatérielle : c'est tout ce qu'il va apprendre, les expériences qu'il va vivre, les amitiés qu'il va nouer. Vous admirez les installations de sport dignes d'un film américain, vous croisez les jolies filles qu'il va peut-être courtiser... Si vous avez connu ça, une immense nostalgie vous envahi; et de toute façon, une grande fierté...

Mais en cette soirée de septembre 2005, un étudiant qui a beaucoup trop bu est ramené par ses amis dans un état semi-comateux dans sa chambre. Eux-mêmes n'ayant plus toute lucidité, dans ce mélange d'insouciance et de rire idiot qui règne en ce moments là, ils n'appellent pas les secours, et se disent que leur camarade est juste quitte pour une bonne gueule de bois le lendemain. Mais il ne se réveillera jamais.

La mère avait porté plainte, visant tant l'absence de secours des camarades ce soir là, que les dirigeants de l'école, qui n'avaient selon elle pas pris les mesures suffisantes pour s'assurer du respect de l'interdiction de vente d'alcool fort (effectivement totalement piétinée ce soir là, où les concours de shots s'étaient allègrement succédé, selon les témoignages), ainsi que, suggérait-elle, de la présence de secouristes.

Et de fait, à l'époque régnait "la tradition" de soirées sans aucun contrôle, car on avait "toujours fait comme ça".

D'ailleurs, depuis que cette école a connu ce drame, elle se distingue des autres, en dispensant aux responsables des associations étudiantes une formation, et en signant avec eux une charte, aux termes de laquelle un étudiant est autorisé à boire 5 verres maximum. Ils paraît que les étudiants des autres écoles en rigolent. Forcément, ils n'ont pas le même vécu.

Mais une charte avait déjà été signée à l'époque des faits, entre l'association des étudiants  (le BDE, comme on l'appelle souvent) chargée d'animer la vie étudiante et notamment organiser les soirées, et la Maison de ces mêmes étudiantes (dont le Directeur était mon client), structure de droit privé qui gérait les locaux, et mettait ceux-ci à disposition de l'association. 

Cette Charte était certes moins précise et pédagogique que celle qui lui a succédé, mais néanmoins assez explicite dans sa décharge de responsabilité vis à vis de l'association, que la Maison appelait à "assurer un encadrement vigilant" des événements festifs, et en particulier "suivre scrupuleusement la réglementation en vigueur dans les débits de boisson". Une clause de style ? Pas pour le juge d'instruction, aux yeux de qui elle a sans doute pesé de tout son poids, même s'il ne s'en explique pas outre mesure dans son ordonnance finale.

Il y mentionne en effet simplement les personnes qui finalement n'ont reçu que la qualité de témoins assistés, au rang desquels, donc, mon client, sans doute pour les raisons précitées, ainsi que le Directeur de l'école elle-même, dont les fonctions étaient trop générales et éloignées de cette question là, et enfin tous les camarades présents ce soir là, mais qui n'avaient aucune fonction associative.

Il n'en était pas allé de même pour le président de l'association étudiante, mis en examen, et renvoyé seul devant le tribunal correctionnel, et on peut penser que c'était un peu dur pour cet étudiant qui, finalement, avait eu le tort de se dévouer pour prendre en charge l'organisation de soirées que tout le monde, et pas seulement lui, entendait vivre sans la moindre sécurité contraignante. Même si on comprend la logique du juge d'instruction, qui a sans doute estimé que si une mise hors de cause devait être prononcée, ce serait au tribunal correctionnel d'en décider (sous forme de "relaxe", donc), pas à lui dès le stade de l'instruction (sous forme de "non-lieu").

L'audition de mon client devant ce juge d'instruction s'était néanmoins déroulée sur un fil, entre signes de légèreté agaçante (mon client avait ainsi raconté que des grandes marques d'alcool sponsorisaient parfois les soirées, afin que les étudiants puissent s'offrir suffisamment de boissons, alors qu'il aurait dû explicitement interdire cela), et premières prises de conscience (outre la Charte précitée, il avait demandé à ce que les soirées se terminent plus tôt).

Il pouvait vraiment s'estimer "chanceux", pour la suite de sa carrière, comme pour sa vie d'homme, ne pas avoir été davantage mis en cause. Un sentiment néanmoins mêlé de malaise, comme pour les camarades de ce jeune étudiant, fauché par une mort idiote, comme un accident de la route qui n'aurait pas dû avoir lieu. Cette conscience là, aucun échappatoire judiciaire ne la rachète totalement. D'ailleurs, le juge d'instruction l'avait senti. C'est peut-être aussi, ce qui l'avait poussé à prendre cette décision.

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 2

Historique

  • Illustration d’un père manquant « gravement » à ses obligations
    Publié le : 10/01/2013 10 janvier janv. 01 2013
    Droit de la famille
    Illustration d’un père manquant « gravement » à ses obligations
    Où un père, après avoir franchement dérapé à l’occasion du divorce, tente en plus de demander de l’argent à ses enfants après. L’obligation alimentaire entre ascendants et descendant des art. 205 et s. du Code civil – à ne pas confondre avec la contribution à l’entretien et l’éducation des enf...
  • Le vent du boulet
    Publié le : 20/09/2012 20 septembre sept. 09 2012
    Droit pénal
    Le vent du boulet
    La définition d'un poste à responsabilité peut aussi avoir des implications pénales Quand votre fils intègre une prestigieuse école d'ingénieur française, ce n'est pas pour vivre un drame. Vous pensez qu'il va connaître ses plus belles heures. Vous le voyez arriver sur son campus, avec ses...
  • Partie civile en Cour d’assises, un parcours qui n’est pas de tout repos
    Publié le : 04/09/2012 04 septembre sept. 09 2012
    Partie civile en Cour d’assises, un parcours qui n’est pas de tout repos
    Naturellement, l’angoisse principale devant la Cour d’assises, c’est d’être accusé : on y risque une très lourde peine, la privation d’une partie de sa vie. Mais être partie civile peut également être très éprouvant. Mieux vaut être entouré. Tous les pénalistes préviennent leurs clients partie...
  • Et si notre enfant fait Harvard, qui va payer, papa ou maman ?
    Publié le : 15/05/2012 15 mai mai 05 2012
    Droit de la famille
    Et si notre enfant fait Harvard, qui va payer, papa ou maman ?
    Illustration d’un problème qui concerne de nombreux parents séparés (même si ce n’est pas souvent pour ce genre d’établissement) : le paiement des frais de scolarité. A priori, la question avait été réglée, un jugement ayant été rendu par le Juge aux affaires familiales, qui précisait explicit...
  • Connaissez-vous vraiment votre conjoint ?
    Publié le : 19/04/2012 19 avril avr. 04 2012
    Droit de la famille
    Connaissez-vous vraiment votre conjoint ?
    Un époux peut obtenir annulation du mariage s’il découvre que son épouse est escort-girl… Encore une espèce croustillante (comme dans mon post du 23 décembre 2011), d’une faible utilité, puisqu’elle ne devrait tout de même pas s’appliquer à grand-monde, mais qui peut être signalée, juste « pou...
  • Le caractère acariâtre peut aussi constituer une faute
    Publié le : 19/04/2012 19 avril avr. 04 2012
    Droit de la famille
    Le caractère acariâtre peut aussi constituer une faute
    Une épouse peut être reconnue fautive pour avoir eu « une attitude particulièrement humiliante et méprisante à l’égard de son mari, en raison du niveau d’étude inférieur de celui-ci », avoir « contribué au repli de la famille sur elle-même », etc. A force de lire des jurisprudences dans lesque...
  • Faut-il être transparent sur ses finances dans une procédure en divorce ?
    Publié le : 19/04/2012 19 avril avr. 04 2012
    Droit de la famille
    Faut-il être transparent sur ses finances dans une procédure en divorce ?
    On ne risque pas le pénal si on se fait prendre. Mais on risque de perdre au civil si on ne joue pas le jeu… D’abord, dédramatisons le débat. Une déclaration sur l’honneur mensongère n’est pas pénalement réprimée. C’est ce qu’indique la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt...
  • RFF sait-il seulement tout ce qu'il possède
    Publié le : 05/04/2012 05 avril avr. 04 2012
    Sur les marges des parcelles, les squatteurs auraient de quoi discuter la propriété de l'établissement public Je ne pensais pas que des réparateurs de batteries pouvaient être des gens hauts en couleur comme ça. J'avais d'abord fait la connaissance du gérant (de paille?), car c'est lui qui...
  • Du devoir conjugal
    Publié le : 23/12/2011 23 décembre déc. 12 2011
    Droit de la famille
    Du devoir conjugal
    Dans le cadre d’une procédure de divorce dit contentieux, un époux peut obtenir de son conjoint réparation de son préjudice d’abstinence contrainte ! Ni trop, ni trop peu. La jurisprudence vient périodiquement rappeler, dans des rédactions savoureuses, les frontières du devoir conjugal. Dans u...
<< < ... 8 9 10 11 12 13 14 > >>