Réunir... physiquement une famille post mortem
Publié le :
21/02/2014
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février
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2014
L'exhumation d'une sépulture est une décision rare, qui ne peut être obtenue que pour des raisons fortes
"Toi le frère que je n'ai jamais eu, Sais-tu si tu avais vécu, Ce que nous aurions fait ensemble. Un an après moi, tu serais né, Alors on n'se s'rait plus quittés, Comme deux amis qui se ressemblent".
Ma cliente avait beau être jeune (27ans), elle avait peut-être déjà entendu cette chanson de Maxime Le Forestier, quand ses parents écoutaient Radio Nostalgie, une chanson qui lui aurait tiré les larmes, autant qu'elle avait ému le tribunal, pour que celui-ci en arrive à prendre cette décision exceptionnelle.
Mal dans sa peau, elle ne semblait pas mordre dans la vie de sa vingtaine, mais porter le poids d'un chagrin familial tenace.
Son père, qui ne s'était jamais remis de cet enfant (frère pour elle) mort-né, avait sombré dans l'alcoolisme, au point d'être mis sous tutelle, de divorcer, s'isoler, et pour finir, décéder trop jeune, à 46 ans, alors que sa cliente en avait 20.
S'ajoutait, comme souvent dans ces familles désunies, une organisation des funérailles qui lui avait échappée, puisque c'est, d'une certaine façon naturellement, le frère du défunt (donc l'oncle de ma cliente) qui avait pris les choses en main, sauf qu'il avait peut-être précipité sa décision en ne consultant pas grand monde avant d'obtenir l'inhumation dans un caveau certes "familial", puisqu'il contenait déjà les corps des parents du défunt (et donc des siens, et qu'il entendait aussi rejoindre plus tard), mais qui ne concernait qu'une partie de la famille de celui-ci.
L'argument se défendait néanmoins, et ma cliente allait donc avoir bien besoin d'un avocat, pour ne pas se sentir seul face à ce narratif intime, et combattre cet adversaire qui se prévalait des liens de l'ascendance.
Ce n'est pas de chance de devoir faire face à une partie qui n'a qu'à dire au tribunal : allons, pourquoi donc remuer les choses inutilement, le défunt se retrouve déjà entouré de ses parents.
Déjà que, lorsqu'il n'y a aucune opposition, un jugement d'exhumation est difficile à obtenir, mais alors là, il allait falloir chercher une sorte de performance judiciaire.
En effet, une telle décision est une exception, rarement consentie, au principe de la paix des morts, et de la stabilité de leur lieu de repos éternel.
Tout le monde (enfin, ceux qui étaient déjà nés dans les années 90) se souvient de l'affaire Yves Montand, qui avait donné lieu à une bataille judiciaire sur cette question, à l'initiative d'Aurore Drossart, qui souhaitait établir le lien de filiation au moyen d'une expertise ADN.
Mais dans mon affaire, contrairement à son oncle, qui semblait avoir réglé les affaires un peu pour les siennes aussi, dans son projet qui réservait déjà sa place, ma cliente avait fait preuve d'un altruisme émouvant et en ne se préoccupant nullement du lieu où, elle, reposerait plus tard (le privilège de sa jeunesse, quand même !).
Aussi compliqué qu'il soit, puisqu'il impliquait non seulement de faire ordonner, donc, l'exhumation de son père, mais aussi, celle de son frère mort-né, du carré des enfants où il se trouvait, à la taille trop petite pour recevoir quelqu'un à ses côtés, son projet de réunir ces deux âmes si inconsolables de ne s'être connues sur terre, était celui qui semblait le meilleur interprète de la volonté du défunt, à défaut de consignes explicites laissées par celui-ci. Les attestations concordaient en ce sens. Et nous avions trouvé une commune se disait prête à accueillir cette opération.
L'épilogue à cette histoire ressemble hélas à ces films sentimentaux français, qui cultivent la fantaisie de laisser au spectateur le soin d'imaginer la suite.
Cela ne surprendra guère mes confrères, coutumiers de ces clients qui disparaissent une fois le jugement rendu (parfois parce qu'ils doivent des honoraires, mais ça n'a rien à voir), comme si pour avancer, ils ne voulaient plus reparler avec celui qui avait un temps porté avec vous les choses qui sont trop lourdes. Cela n'a rien d'anormal, et il ne faut nullement s'en étonner.
Je n'ai donc jamais réussi à savoir comment ma cliente a fait appliquer ce jugement, qui n'est guère qu'un morceau de papier tant qu'on n'a pas invité, parfois forcé s'il le faut, ses destinataires à l'exécuter - ici les cimetières concernés. Ce qui pouvait quand même être toute une (autre) histoire.
Peut-être ne l'a-t-elle d'ailleurs jamais fait. Il se peut qu'il lui ai suffit de faire reconnaître aux yeux de la Justice la simple idée, qui survivra à toutes vicissitudes terrestres.
Historique
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