Le principe d'égalité comme dernier rempart à la répudiation en France
Publié le :
10/01/2014
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La course au divorce dans les couples maghrébins venus vivre en France relève parfois de la fable du lièvre et de la tortue que connaissent bien les praticiens en droit de la famille : l'époux se hâte d'obtenir rapidement un divorce par répudiation au pays, mais l'épouse y met échec en obtenant l'absence de reconnaissance de ce type de divorce en France.
C'est ce que viennent d'illustrer deux arrêts du 23 octobre 2013, l'un concernant un couple de marocains (12-25802), l'autre un couple un couple algérien (12-21344). Dans le 1er cas, l'époux opposait au juge français une litispendance, c'est-à-dire une affaire déjà en cours au Maroc, qu'il avait saisi en premier, dans le second, il opposait carrément une autorité de la chose jugée, c'est-à-dire une procédure déjà terminée en Algérie ; mais la problématique est la même.
Les motifs de rejet de la répudiation, « grand classique » du droit international privé de la famille, ont évolué avec le temps, et les réformes des droits maghrébins.
Souvent, il suffisait de soulever l'absence de caractère contradictoire de la procédure pour l'obtenir.
Puis, par une série d'arrêts de 2004, la Cour de cassation a dû porter le débat sur le fond, en estimant que « même si elle résultait d'une procédure loyale et contradictoire, [une] décision constatant une répudiation unilatérale du mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme, et en privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, était contraire au principe d'égalité des époux... reconnu par l'article 5 du protocole du 22 novembre 1984 n° 7 additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme ». C'est dire que la France était allée chercher loin un texte justifiant le maintien de son opposition à la reconnaissance des divorces musulmans.
Depuis, le droit français ayant lui même franchi un pas de plus dans la reconnaissance d'un certain « droit au divorce » sans autre forme d'explication, avec l'instauration du divorce pour altération du lien conjugal par la loi du 24 mai 2004 (outre le consentement mutuel, bien sûr, qui existe déjà depuis 1975), il peut difficilement se plaindre de l'absence de marge de manœuvre du juge étranger, c'est pourquoi il a cantonné son argumentation à la rupture du principe d'égalité : « le vice rédhibitoire de la répudiation musulmane n'est pas que le conjoint répudie ni le juge ne puissent s'y opposer, mais d'être un monopole du mari » (H. Fulchiron, Requiem pour la répudiation musulmane ? JCP G 2004 II n° 10128).
Mais les pays mahgrébins ayant réformé leur droit de la famille en 2004-2005, il a fallu affiner l'analyse.
S'agissant de l'Algérie, dans l'espèce ici commentée, il n'était pas compliqué d'opposer à la Cour d'appel, qui avait cru pouvoir relever la possibilité dans le droit algérien d'un divorce pour faute à l'initiative de l'épouse, que cela ne signifiait pas pour autant une égalité, la preuve de la faute étant autrement plus lourde à rapporter qu'une simple demande de répudiation, que seul le mari peut continuer à utiliser. Même si, en l'espèce, la Cour de cassation relevait que le jugement algérien avait été rendu en application de l'article 48 du Code de la famille algérien « non modifié par la réforme de 2005 », la même solution aurait été rendue à propos d'une répudiation fondée sur la législation postérieure à cette réforme.
S'agissant du droit marocain en revanche, l'introduction d'une possibilité de divorce « pour discorde » à l'initiative de l'épouse, quasiment analogue au pouvoir de répudiation du mari, a pu permettre à certains de plaider dans le sens d'une égalité suffisante (K. Zaher, Plaidoyer pour la reconnaissance des divorces marocains, Rev. Crit. DIP 2010 p. 313). Il a été toutefois noté que la répudiation prononcée par le mari a un caractère plus automatique, tandis que celle mise en oeuvre par la femme passe obligatoirement par une phase de conciliation. Une différence réduite à bien peu de choses, qui va pousser en réalité la Cour de cassation à juger maintenant au cas par cas, et à ne plus rejeter que la pure répudiation automatique (BPAT Francis Lefèvre 2013, n° 218).
Thierry Garé (RJPF décembre 2013 p 21) se pose une question fort intéressante, mais qui n'est peut-être due qu'aux avatars des rédactions : il note en en effet que l'arrêt sur l'Algérie est « remarquable dans la mesure où il ne fait aucune référence à l'ordre public, accréditant la thèse selon laquelle la répudiation ne serait pas, en elle même, contraire à l'ordre public, mais qu'elle ne le serait que pour la rupture d'égalité homme/femme dont elle est porteuse ». Ceci dit, il observe immédiatement que l'arrêt sur le Maroc rendu le même jour prend soin, lui, « de préciser que la répudiation intervenue au Maroc est « contraire au principe d'égalité entre époux … et donc à la conception française de l'ordre public international ».
Surtout, dans le sens de l'analyse au cas par cas appelée à se développer, il relève que dans les deux affaires, la Cour de cassation prend soin de souligner le rattachement de la situation juridique à la France. En effet, « pour que le juge français soit légitime à écarter des institutions étrangères, il faut que la situation juridique qu'il a à juger se rattache à notre ordre juridique par un lien suffisant ». Dans l'affaire algérienne, la Cour souligne que l'épouse était domiciliée en France ; le résumé des faits de l'arrêt montre également qu'après le mariage célébré en Algérie, le couple s'était installé en France où étaient nés les enfants communs. Dans l'affaire marocaine, la Cour note que les deux époux étaient domiciliés en France ; il ressort en outre du dossier que les époux avaient tous deux la double nationalité française et marocaine.
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