10 choses que j'avais envie de dire avant que le monde ne disparaisse

10 choses que j'avais envie de dire avant que le monde ne disparaisse

Publié le : 24/03/2020 24 mars mars 03 2020

Les circonstances permettent parfois de dire les choses plus franchement...

Puisqu'on va tous mourir, autant se défouler. Et si finalement on ne meurt pas (cf à ce sujet ma remarque 10), sait-on jamais, elles pourraient servir.

A mes clients ou futurs clients :

1 - N'attendez aucune certitude de la justice. Vous voulez savoir si vous allez gagner ou perdre, et attendez de votre avocat qu'il vous le dise ? C'est bien légitime. Mais en général, c'est pas possible ! S'il le fait avec trop d'aplomb, il se comporte probablement comme celui qui vous vend un presse-agrumes révolutionnaire sur un stand du marché. Un avocat honnête ne peut en effet que relativiser toute prévision, même si cela doit vous frustrer. Car quand vous mettez un pied dans le monde judiciaire, vous entrez dans la grande inconnue : marge d'appréciation du juge, obstacles procéduraux, comportement adverse imprévisible, erreurs innombrables de la chaîne judiciaire... il existe mille variables pour venir détruire votre pronostic. Alors, bien sûr, des fois, il faut quand même "y aller", car l'inertie serait pire que tout; mais il faut accepter cette part d'incertitude.

2 - Un avocat ne se juge pas à son "taux de victoire". Si le Procureur requiert 5 ans fermes contre votre client, et qu'il est finalement condamné à 2 ans ferme, est-ce une défaite, ou une victoire ? Et en affaires familiales, pour certains, la résidence alternée sera une victoire, pour d'autres une défaite... et pour l'enfant ? Les cas sont infinis. On n'est pas en tennis, où il y a nécessairement un gagnant et un perdant à la fin; et encore, même là, les amateurs en discutent parfois encore pendant des années. Alors imaginez en justice. Pour la même raison, une notation des avocats semble une perspective un peu effrayante.

3 - Parler amicalement avec l'avocat adverse avant ou après l'audience ne signifie pas qu'on s'arrange avec lui. Cette fois, je pense qu'on peut prendre avec succès (contrairement au point 2) l'analogie avec le sport. L'avocat adverse, c'est un peu comme un opposant sur le terrain : pendant le match, on veut sincèrement le pulvériser ! Mais après le match, toute la pression tombe, et c'est un collègue qui fait le même boulot que nous, et donc avec qui on aime spontanément discuter, parce qu'on se comprend. Après, bien sûr, il y a des limites au-delà desquelles l'exercice deviendrait un peu artificiel : on ne plaide pas, par exemple, contre un confrère qui partage nos locaux; d'ailleurs, ce serait répréhensible sur le plan disciplinaire.

4 - Ce n'est pas parce qu'on affronte violemment le juge et/ou l'adversaire qu'on défend bien son client. C'est même parfois le contraire : on risque ainsi de précipiter la perte de son client, en énervant tout le monde, à commencer par le juge, et ce malgré l'illusion qu'on a pu donner à son client de l'avoir défendu. Il est vrai que cela demande moins de travail pour certains de venir mettre un bordel à l'audience, que de lire correctement le dossier... Cette assertion doit néanmoins être relativisée. Il existe en effet, symétriquement, au moins autant de "fainéants de l'affrontement" que du travail de dossier, qui font trop dans l'arrangement avec le juge, en vue de soigner leur image pour les prochains dossiers.. mais ce calcul n'est pas loyal vis à vus du client qu'on défend dans l'immédiat. En plus, il peut s'avérer faux : le contentieux judiciaire étant un monde dur, il faut parfois savoir élever la voix pour se faire entendre, sinon se faire respecter. Bref, il faut trouver le bon ton, c’est même ça le métier.

5 - Ce n'est pas parce que le Juge aux affaires familiales est une femme qu'elle va faire gagner la femme. Déjà, je vois mal comment vérifier statistiquement cette crainte, non seulement en raison de la difficulté à mesurer la victoire (cf point 2), mais aussi à cause de la légitimité douteuse d'une étude de genre comme celle-là. A part cette question du chiffrage, il reste un "sentiment" que l'homme n'a pas la partie facile, si répandu, qu'il faut bien en parler. Je ne nie pas qu'il est parfois trop pénalisé par le fait que ses défauts sont plus "spectaculaires" et donc plus facilement repérables que ceux de sa conjointe. Mais j'ai aussi vu des hommes gagner contre toute attente devant un Juge féminin, que ce soit mon client (j'étais content) ou l'adversaire (je l'étais moins). Alors, quand bien même l'homme "perdrait" peut-être un peu plus souvent (avec les réserves précitées sur la mesure possible de ce phénomène) : et si c'était, tout simplement, parce qu'il se comporte souvent un peu plus mal ?

6- Ce n'est pas parce que vous avez eu l'impression d'être manipulé(e) par votre ex qu'il/elle va manipuler votre avocat, le Juge aux affaires familiales et la terre entière. C'est le fameux : "méfiez-vous maître, il/elle va fausser le résultat de l'audience, c'est un(e) malin(e), moi je suis fais avoir pendant des années". Non. Désolé de désacraliser votre souffrance sur ce point là, mais votre ex n'est pas Einstein. Vous vous êtes juste fait(e) avoir parce qu'il est impossible d'être parfaitement lucide dans une relation à deux, c'est tout. Mais nous, on le/la voit venir à 10 km, votre ex. En plus, un avocat et un juge sont des professionnels de la famille, et voient passer plein de dossiers qui sont en fait comme le vôtre, même si vous ne le croyez pas. Alors, arrêtez d'avoir peur de ça. Une variante de cette crainte irrationnelle : "mon ex est un(e) pervers(e) narcissique". Pitié, arrêtez avec ce mot que vous ne comprenez pas, laissez le aux blogs de psychologie improvisée sur doctissimo. Merci. On va vous aider, ne vous inquiétez pas.

Aux avocats adverses :

7 - Ton client n'est pas ton frère/ta soeur. Confrère, oui, toi, surtout en affaires familiales, où c'est quand même souvent pas le concours de l'avocat le plus brillant : ne me saute pas dessus juste avant l'audience pour me dire que, "quand même votre client est vraiment le plus méchant des deux, puisque ma cliente me l'a dit, alors acceptez ma demande de résidence exclusive de l'enfant, et ça ira plus vite". Pitié. D'abord, arrête de croire que je vais t'obéir, comment t'as pu penser que j'étais aussi débile ? Et surtout, arrête de croire ce que te dit ta cliente, c'est pas possible, c'est ta pote d'enfance, ou quoi ? Prends des distance. Sois un pro. Ou, je sais pas, retourne à l'école d'avocat. Oui, voilà, va-t-en.

Aux juges :

8 - On vous aime, voyons ! C'est pourquoi : on veut continuer de recourir à vous. Alors cesser de vous cacher et de bâtir des barrières à votre accès. Et surtout, cessez de parler de médiation, ça sonne faux. Si on veut y recourir, on le fera sans votre avis, mais quand vous essayez de nous le vendre, on sait très bien que c'est pour moins bosser.

A mes amis en soirée :

9 - Comment peut-on défendre un quelqu'un qui a commis une infraction ? Déjà, tout est dans le "a commis": en est-on sûr, juste parce que quelqu'un l'accuse ? Et quand bien même, quelle peine ensuite appliquer ? Attendez donc que ça vous arrive d'être mis en cause (cela peut être le cas pour une infraction banale, par exemple à la circulation routière), et vous comprendrez pourquoi vous avez besoin d'aide face à la "machine" répressive. C'est marrant ça, quand on a un casier vierge, on se croit parfait, mais le jour où on fait un pas de côté, d'un seul coup, la police ne devient qu'une bande de "fachos". Bien sûr, la question revêt un caractère différent selon le degré de gravité de l'infraction. Mais même pour les plus graves, des auteurs y ont répondu, bien plus brillamment que moi (cf p ex le meilleur blogueur d'entre nous : https://www.maitre-eolas.fr/post/2004/04/18/15-comment-faites-vous-pour-defendre-des-coupables)

A tout le monde :

10 - On ne va peut-être pas tous mourir du Covid 19. A moins que presque tous les hommes ne meurent en fait d'un virus depuis toujours. Autre version : on va peut-être finir par être plus nombreux à "mourir" (sinon physiologiquement, du moins socialement) de la peur d'un virus, que du virus lui même. Mais je ne développerai pas davantage ce point de vue aussi minoritaire qu'explosif.

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 1

Postérité de cet article (22/03/2022) :
J’ai fait rire pas mal de gens avec ce post un peu plus « libre ton » que les autres, et je n’en retirerais pas une ligne aujourd’hui. Même le point 10, c’est dire. 

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