Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel

Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel

Publié le : 01/11/2017 01 novembre nov. 11 2017

Elle pensait faire corriger à la hausse la contribution à l'entretien et l'éducation des quatre enfants, c'est au contraire une des contributions qui a été supprimée pour celui qui était majeur et "oisif"

L'arrêt n'a rien à voir avec le rugby, je cherchais juste une image de déroute, un peu facile.

Il a déjà quelques années, mais c'est à l'occasion d'une recherche récente de jurisprudence que je suis tombé dessus, et il m'a semblé typique de la tournure que prennent certains contentieux, quand tout finit par se retourner contre un justiciable, même certains arguments qui semblent valables, comme si les juges avaient besoin de lui donner tort sur toute la ligne pour justifier de leur décision; c'est l'effet "rouleau compresseur" judiciaire. On se dit que l'appelante a dû y mettre du sien pour en arriver là, notamment à l'audience, mais ça, on ne le saura pas; il ne nous reste que la décision écrite, à interpréter.

Elle avait interjeté appel contre une décision du juge de la mise en état qui, en raison d'une baisse des revenus de l'époux, passés de 6.500 à 4.000 € mensuels, avait ramené de 600 à 200 € le devoir de secours fixé par l'ordonnance de non-conciliation, et de 350 à 150 € par enfant les contributions à leur entretien et leur éducation, tout en rejetant la demande de père de cesser celle destinée à celui des quatre qui était majeur.

L'appel principal de son épouse avait peut-être poussé ce père à interjeter lui-même appel incident sur cette question, demandant à ce que cette contribution soit supprimée au motif que l'enfant en question, disposait "d'un bac pro cuisine, [s'abstenant] volontairement de travailler et [restant] oisif au domicile conjugal, en dépit du nombre non négligeable d'offres d'emploi dans le secteur de la restauration".

C'est à la fin des motifs de l'arrêt qu'on croit pouvoir comprendre ce qui, sur le fond et indépendamment de toute présentation malhabile par l'appelante, a dû pousser la Cour à juger ainsi : "en réglant mensuellement des emprunts pour un montant si important (3.460 €) au regard de ses revenus, et en devant assumer pour lui la charge d'un loyer de 505 € et les charges fixes habituelles, Monsieur Marc G. ne peut, avec des revenus de 4.000 €, contribuer à régler les contributions mises à sa charge par le magistrat conciliateur (800 € de devoir de secours + 354 € par enfant soit 1.416 € pour les quatre)".

Par ailleurs, la Cour avait salué l'attitude du père qui, titulaire d'un coup, suite à modification des pensions, d'une créance de 7.000 € contre son épouse, l'avait traitée en avance sur les prochaines pensions à échoir, au lieu de la faire exécuter par des saisies. Il passait ainsi pour un seigneur.

Du coup, la Cour repoussait tous les arguments de l'épouse, qui pourtant n'en manquait pas.

Le plus important était sans doute l'argument procédural, visant à dénier à la baisse de revenus du père un caractère nouveau par rapport à l'ordonnance de non-conciliation. En effet, celui-ci avait indiqué que "contre attente", une de ses deux sociétés, qui lui procurait un revenu de 2.500 €, avait été mise en liquidation judiciaire huit jours après l'ordonnance de non-conciliation; un peu gros pour son épouse, et on peut la comprendre, qui faisait observer que les difficultés n'étaient pas nouvelles, la cessation des paiements datant du 24 mars 2011. Mais, observe la Cour, l'activité n'avait jamais cessé, et la rémunération de Monsieur avait pu être maintenue jusqu'au bout, sans compter qu'il avait, lors de la fameuse audience du tribunal de commerce ayant abouti à la liquidation judiciaire, demandé jusqu'au bout à poursuivre l'activité.

L'épouse a dû en faire trop dans le registre "il me cache tout", puisque la Cour lui fait observer qu'elle était "très concernée par la vie des différentes sociétés ainsi qu'il résulte des renseignements par elle sollicités et des nombreux échanges de correspondance par elle produits aux débats"; ou encore, dans le registre "il majore ses charges", la Cour indiquant que l'augmentation subite des cotisation "correspond au paiement des charges sociales classiques, après trois ans d'exonération de charges en faveur de Monsieur G.,en sa qualité de créateur d'entreprise"; et aussi, dans le registre "il mélange les comptes", la Cour répondant que "les sociétés dans lesquelles Monsieur Marc G. a des mandats sociaux sont soit des SARL... soit une SAS..., de sorte que celui-ci n'ayant pas de sociétés de type unipersonnel... il n'y a pas de confusion possible entre ses comptes professionnels et ses comptes personnels"; de même, dans le registre "il est riche, la preuve, il voyage", la Cour répondant que "cette affirmation reposait sur la seule production d'un bulletin de vierge d'inscription jamais renseigné par son conjoint".

Des arguments classiques, tous balayés, pour confirmer la décision du juge de la mise en état.

Sauf sur un point, et c'est sans doute le plus dur pour l'appelante principale : la contribution pour l'enfant majeur, carrément supprimée, au motif "qu'il vit dans l'oisiveté la plus complète alors qu'il est âgé de bientôt 22 ans". Même si le père avait été le premier à employer le terme, il est dur, et la défaite pour l'appelante…sans appel.

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 3

Postérité de cet article (21/03/22) :

L’actualisation la plus importante, dans tout ça, c’est bien que le XV de France redevient compétitif, puisqu’il vient de remporter le Grand Chelem, dans le Tournoi ; mon image ironique est donc dépassée.

Historique

  • Gérer techniquement un dossier bien sale
    Publié le : 14/02/2018 14 février févr. 02 2018
    Droit pénal
    Gérer techniquement un dossier bien sale
    L'infraction de détention d'image pédopornographique implique parfois un débat sur des paramètres informatiques Ce client m'aura décidément tout fait.  Impliqué dans une affaire de départ en Syrie pour aller y "approfondir sa pratique de l'Islam", capable de garder dans son ordinateur des d...
  • Déranger les époux combien de fois pour un divorce par consentement mutuel
    Publié le : 10/01/2018 10 janvier janv. 01 2018
    Droit de la famille
    Déranger les époux combien de fois pour un divorce par consentement mutuel
    Dans un divorce par consentement mutuel avec bien immobilier, il apparaît opportun de grouper, en une seule fois, signature du partage, de la convention de divorce, et dépôt chez le notaire. Même en consentement mutuel, où a priori la situation est moins conflictuelle qu'en contentieux, les ép...
  • Boire ou acheter une Rolls, il faut choisir
    Publié le : 13/12/2017 13 décembre déc. 12 2017
    Droit pénal
    Boire ou acheter une Rolls, il faut choisir
    Selon l'article L 234-12 du Code de la route, en cas de récidive de conduite en état alcoolique, la confiscation du véhicule est "obligatoire". Sauf si... ... sauf si la juridiction l'écarte, "par une décision spécialement motivée". Le mot "obligatoire" est donc trompeur - voire idiot. Il aura...
  • Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel
    Publié le : 01/11/2017 01 novembre nov. 11 2017
    Droit de la famille
    Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel
    Elle pensait faire corriger à la hausse la contribution à l'entretien et l'éducation des quatre enfants, c'est au contraire une des contributions qui a été supprimée pour celui qui était majeur et "oisif" L'arrêt n'a rien à voir avec le rugby, je cherchais juste une image de déroute, un peu fa...
  • Vous savez bien de quoi vous êtes coupable Monsieur...
    Publié le : 20/10/2017 20 octobre oct. 10 2017
    Droit pénal
    Vous savez bien de quoi vous êtes coupable Monsieur...
    Ce vieux préjugé imprègne tout le débat sur le degré de précision de la notification des faits reprochés au gardé à vue Je vais souvent au commissariat de Rosny sous Bois, pour des vols commis dans le centre commercial Rosny 2. Je m'y suis récemment agacé qu'une qualification de "recel de v...
  • De l'évaluation de la lucidité du gardé à vue lors de la notification de ses droits
    Publié le : 15/10/2017 15 octobre oct. 10 2017
    Droit pénal
    De l'évaluation de la lucidité du gardé à vue lors de la notification de ses droits
    La problématique n'est pas nouvelle, mais deux arrêts du 21 juin 2017 apportent une bonne illustration. Dans le premier (16-83599), c'est d'une notification tardive dont se plaignait le mis en cause. En effet, placé en garde à vue à 21h35 avec un taux de 0,75 mg, il voyait une première fois la...
  • Enfin un contrôle des motifs de recours à la garde à vue ?
    Publié le : 30/09/2017 30 septembre sept. 09 2017
    Droit pénal
    Enfin un contrôle des motifs de recours à la garde à vue ?
    Dans un arrêt du 7 juin 2017 (16-85788), faisant suite à quelques autres récents, la Cour de cassation fait comprendre au procureur que la garde à vue ne doit pas être un outil de gestion à la disposition de ce dernier. Lors de l'entretien en garde à vue, les clients me demandent invariablemen...
  • Aimer est-il un devoir du mariage ?
    Publié le : 30/01/2017 30 janvier janv. 01 2017
    Droit de la famille
    Aimer est-il un devoir du mariage ?
    La Cour d'appel de Paris manquerait-elle de romantisme, à force de voir défiler des dossiers de divorce ? Ou au contraire, dans une conception absolue de l'amour, considère-t-elle avec sagesse que celui-ci ne peut se réduire à un "devoir" ? Dans un arrêt du 17 novembre 2016 (pôle 3, ch. 3, n°...
  • Quand on se heurte à la raison d'Etat
    Publié le : 15/04/2016 15 avril avr. 04 2016
    Droit pénal
    Quand on se heurte à la raison d'Etat
    Avocat pénaliste jusqu'au bout, jusqu'à une infraction qui sonne mal : association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme En fait, cette qualification impressionne le profane, pas les avocats ayant déjà eu à la traiter, et ils sont de plus en plus nombreux. Elle est e...
<< < ... 4 5 6 7 8 9 10 ... > >>