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RFF sait-il seulement tout ce qu'il possède

Publié le : 05/04/2012 05 avril avr. 04 2012

Sur les marges des parcelles, les squatteurs auraient de quoi discuter la propriété de l'établissement public

Je ne pensais pas que des réparateurs de batteries pouvaient être des gens hauts en couleur comme ça.

J'avais d'abord fait la connaissance du gérant (de paille?), car c'est lui qui était venu me chercher. Un homme agréable et cultivé, qui m'avait offert un roman sur des entrepreneurs au temps de la révolution industrielle en Pologne, essayait de me convaincre du succès futur de ses projets de distribution de vins français en Chine, et me racontait l'enfant qu'il venait d'avoir, à plus de 50 ans, avec une ougandaise, car il ne pouvait "pas résister" aux beautés de cette région.

C'est un peu plus tard que j'avais appris à connaître le vrai leader (dirigeant de fait?) de cette petite entreprise, une véritable pile électrique (c'est un jeu de mot avec son activité) qui était soit un baratineur compulsif, soit un entrepreneur au dynamisme débordant, parlant de mille projets, et me conseillant notamment de m'adjoindre à son investissement dans un hôtel en construction sur une île croate avec un "potentiel énorme" (comme si j'avais les fonds pour ça...).

Le courant était si bien passé que j'avais accepté leur dossier, alors que je n'étais pas spécialement versé dans le droit administratif ou le droit immobilier. C'est la magie de l'intuitu personae, ce lien si personnel qui pousse le client à remettre sa confiance en un avocat qui n'est pas le plus spécialisé (mais peut-être aussi pas le plus cher...), et l'avocat, donc, à accepter de s'aventurer en des matières incertaines, mais qu'il travaille parfois avec une ardeur pouvant renverser des situations mal embarquées.

Et de fait, notre adversaire, qui pourtant était de taille, avait peut-être fini par prendre peur sur un de mes arguments.

A priori, l'histoire semble simple : mes clients s'étaient installés tranquillement sur un morceau d'emprise ferroviaire pour exercer leur activité depuis des mois sans payer de loyer à personne. Il faut dire que les terrains ne servaient pas à grand chose d'autre, et n'attiraient pas grand monde, le long de la morne RN3, entre Bobigny et Noisy le sec. Mais RFF devait subitement avoir songé à de plus grands projets, et demandait leur expulsion. 

En première instance devant le Tribunal de grande instance de Bobigny, mes clients, alors sans avocat, avaient fait simple et tenté ce qui fonctionne le plus souvent devant le Tribunal d'instance, à savoir demander au juge un délai pour régulariser la situation. Sauf qu'on n'était pas dans un litige locatif concernant des particuliers qui ont besoin d'un toit sur leur tête, et que donc le juge des référés du TGI n'avait aucune raison d'être aussi bonne âme pour l'occupant sans droit ni titre que pouvait l'être son collègue de l'instance.

Bien sûr, ils avaient interjeté appel pour profiter quelques mois supplémentaires de cette activité aux frais fixes allégés (la morale n'y perd pas grand chose : ils ne faisaient pas des millions, et la parcelle dont RFF voulait les expulser ne servait pas à grand chose).

Devant la Cour, cette fois assistés par votre rédacteur, ils avaient pu soulever des arguments en droit.

Il est souvent procéduralement risqué de soulever de nouveaux moyens devant la Cour, d'ailleurs mon adversaire - c'est de bonne guerre - plaidait leur irrecevabilité, et la Cour a fait un peu de gymnastique pour les admettre. De cela au moins je lui suis reconnaissant.

Un peu moins de la suite, hélas.

J'avais d'abord soulevé l'incompétence de l'ordre judiciaire au profit du Tribunal administratif de Montreuil, estimant que les hangars et matériels divers de RFF qui cohabitaient (pacifiquement) avec l'activité de mes clients sur la parcelle incriminée constituaient au moins des "accessoires indissociables" de l'activité ferroviaire au sens de l'article L 2112-2 du CGPPP (Code général de la propriété des personnes publiques), et donc faisaient partie du domaine public, justiciable du seul tribunal administratif. La Cour avait mollement (je trouve) écarté cet argument, estimant que ces éléments n'apparaissaient pas "indispensables à l'exécution du service public du transport ferroviaire".

Ensuite, j'avais, "classiquement", soulevé l'absence de trouble manifestement illicite du fait de quelques pourparlers engagés entre mon client et RFF, qui n'aurait rien eu contre un petit loyer pour rentabiliser cette parcelle un rien dormante, mais c'est vrai que ces discussions n'étaient pas allé bien loin. La Cour n'avait pas manqué de relever qu'à partir du moment où les conditions financières, incluant notamment une coûteuse dépollution des sols, avaient été présentées à mon client, celui-ci n'avait pas répondu grand chose.

Plus osé, je mettais en doute la justification même par RFF de sa propriété sur le terrain. Il est vrai que le système de transmission des terrains entre la SNCF et cette nouvelle entité était, soit complètement insuffisant, et là, j'aurais pu faire s'effondrer tout le système avec ma petite plaidoirie pour mon petit réparateur de batterie (je produisais quand même un article de presse indiquant : " Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous ne savons pas très bien ce que nous possédons" reconnait Anne Florette, chargée du service du patrimoine à RFF. Surprenant paradoxe, les décrets ont fixé des définitions, rien de plus. Pas de découpe cadastrale, qui eut délimité le contour des enclos de la RFF et de la SNCF" ), soit, au moins, peu compréhensible, et aurait justifié que la Cour d'appel estime impossible à juger en référé cette affaire. C'est là où je lui en veut un peu d'avoir "sauvé" les meubles pour RFF.

Peut-être que l'enjeu était trop gros, et ma cause trop petite. Qui sait, je suis peut-être passé à pas grand chose de faire sauter la banque. Tous les squatteurs d'emprise ferroviaire seraient venus me voir !

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 4

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