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La commune aboie, la caravane reste

La commune aboie, la caravane reste

Publié le : 20/10/2011 20 octobre oct. 10 2011

Je m'aventure rarement dans ce gouffre chronophage qu'est le contentieux devant le Tribunal d'instance, mais là, vraiment, je me suis éclaté.

Et d'un coup, la température est montée de quelques degrés dans mon bureau.

Nous sommes à 3 jours de l'audience, j'attends toujours que la 2è moitié des honoraires prévus me soit payée, et je préviens l'ensemble de la famille qui, comme d'habitude, s'est déplacée en masse à mon cabinet : "vous pouvez venir à cinquante si vous voulez, hein, ça change rien; si je n'ai pas mes honoraires, je ne viendrai pas à l'audience".

Alors, le "chef" de famille (nombreuse) souffle le chaud (il a mis les demoiselles au premier rang, elles me sourient abondamment), et le froid , et me dit : "parole de H... (grande famille de gitans), l'argent vous l'aurez, mais si vous nous abandonnez en chemin, ça va mal se passer, ça se fait pas, chez nous".

Et c'est vrai que ça ne se fait pas. Chez eux, comme chez tout client, en fait, gitan ou pas; ce qu'ils vit le plus mal, c'est d'être "lâché" par son avocat. En plus, juste avant une audience, ça confine à la faute déontologique (il faut régler la question suffisamment en amont), il y a avait donc une part de bluff dans ce que je disais moi même. Mais même en avance, c'est très délicat, c'est là qu'on voit que le mandat d'un avocat est très humain, ce n'est pas qu'un travail de juriste. Il dit à son client : je suis avec toi, tu n'es pas seul !

Vous pouvez perdre un dossier, il y aura certes de la déception, éventuellement quelques discussions d'honoraires énervantes , mais tant que vous avez "tout donné", un peu comme un sportif, on saura vous le pardonner, au fond. Mais se défiler, c'est vu comme le sommet de la lâcheté.

Retour à la discussion dans mon bureau.

J'aurais été un avocat vieux, ou riche, j'aurais peut-être laissé filé le marchandage de mes clients - c'est bien pour ça qu'ils la tentaient, c'est presque "de bonne guerre", et ce ne sont pas les seuls.

Pas de chance, je suis encore "jeune", et je m'investis autant dans mes dossiers que je m'accroche aux honoraires que j'ai négociés. En plus, ce n'est pas comme s'ils étaient stratosphériques. 

Donc, tout en m'abstenant sagement de monter en gamme avec mon interlocuteur dans le concours de muscles tatoués, parce que je sais que ce n'est pas moi qui vais gagner, je lui ai dit que j'étais "convaincu" qu'il passerait le lendemain avec le règlement, mais en tout cas avant l'audience, et c'est ce qu'il a fait (je n'ai donc pas en besoin de lutter tant que ça, je m'amuse un peu à forcer le trait). 

Personne ne le regrettera, à part la mairie de cette grande ville du 93, notre adversaire, et son gros cabinet d'avocats parisien, aux honoraires qui doivent voltiger à un autre niveau que les miens. C'est d'autant plus jouissif de les contrarier.

Mes clients vivaient depuis des années en caravane sur un terrain vague de cette commune, laquelle souhaitait désormais donner un autre style au quartier, par exemple afin d'accueillir quelques familles parisiennes irritées par le niveau des prix intra muros, mais désireuses tout de même d'un environnement délicat.

Quand on dit expulsion, en général, on pense Tribunal d'instance.

Et même référés. La commune avait d'ailleurs déjà tenté de passer par cette procédure, et s'était plantée une première fois, le juge ayant dit n'y avoir "lieu à référé", le litige présentant trop de contestations. Bon, ce ne seront pas les seuls à subir cet outrage.

Mais ce qui est fantastique pour mes clients, c'est que, même "au fond", devant le même tribunal, la commune va en subir un deuxième.

J'ai en effet soulevé de "sombres" article du Code de l'organisation judiciaire (les avocats qualifient toujours ainsi les articles des Codes qu'ils n'ont pas l'habitude de manier), et même quelques pensées doctrinales, pour convaincre le juge que les caravanes, quoi que quelque peu sédentarisées depuis le temps (branchement pirate sur le réseau électrique local local, dalles de béton artisanales pour la stabilité du sol, mini chalets fixés au fond du terrain pour poser les jouets des enfants) n'en étaient pas pour autant "bâties", critère de compétence du tribunal d'instance selon l'article R 221-5 du Code précité.

Je revois les photos de caravane étalées par l'adversaire sur le bureau du juge d'instance pour tenter de le convaincre du contraire. On y voyait tout, les enfants qui jouaient, les adolescents qui faisaient de la guitare, et même les intérieurs étonnamment confortables des véhicules, avec meubles et gros écrans plats. "Mais où gagnent-ils cet argent, monsieur le juge..." (sous entendu en volant des portables). Ce n'était pas le sujet, mais deux de mes clients de sont faits le plaisir de répondre : "mais chez vous, monsieur". "Comment ça " ?! "Oui, on travaille à la mairie". Et de montrer leurs fiches de paie. Il ne faut pas croire que tous les gens qui vivent en caravane n'ont pas de qualification. Alors ça, c'était un moment extraordinaire.

Au termes de ces débats où il avait un vraie marge marge pour choisir, le tribunal d'instance s'est déclaré incompétent, au profit du Tribunal de grande instance. Encore au moins un an de gagné pour mes clients. Qui m'ont fait la fête à la sortie du délibéré. La bonne, celle qui fait plaisir.

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 3

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