Gérer techniquement un dossier bien sale

Gérer techniquement un dossier bien sale

Publié le : 14/02/2018 14 février févr. 02 2018

L'infraction de détention d'image pédopornographique implique parfois un débat sur des paramètres informatiques

Ce client m'aura décidément tout fait. 

Impliqué dans une affaire de départ en Syrie pour aller y "approfondir sa pratique de l'Islam", capable de garder dans son ordinateur des documents aussi accablants qu'un manuel d' Al Quaida sur la préparation des explosifs, "par simple curiosité", ou encore une version de "Mein Kampf" par "documentalisme historique" (notons néanmoins que cet ouvrage a fait l'objet d'une réédition allemande dans cet objectif, ce qui n'a pas manqué de soulever des polémiques), voilà qu'en plus, un de ses supports informatiques était bourré d'images pornographiques qui allaient dans toutes les variations du glauque, entre scène de crypto zoophilie, et outrages sexuels sur des enfants.

Le juge d'instruction anti-terroriste, qui certes en avait vu d'autres, n'avait pas paru plus étonné que ça, me disant placidement que ce défoulement numérique était "assez fréquent" chez les gens se posant des interdits religieux très forts, et avait disjoint cette affaire de son dossier, afin que ses débats ne soient pas pollués par cette infraction là.

L'infraction dont il s'agit dans ce dossier disjoint est donc la détention d'image pornographique d'un mineur.

Et en l'occurrence, il ne risquait pas d'y avoir de ces discussions (qu'il y a parfois) sur l'aspect éventuellement trompeur d'adolescents faisant penser à de jeunes adultes, car là , c'était du mineur vraiment très mineur. Et donc des images d'une perversion majeure.

Cette infraction est particulière, car elle est indifférente à l’objection, fréquemment émise, pour la consultation d’images « anormales », selon laquelle ladite consultation n'implique pas l'assentiment ; qu'elle peut procéder d'une démarche analytique avec un recul total, que, à la limite, plus c'est extrême, plus c'est intéressant.  C'était d'ailleurs la ligne de défense de mon client (sans succès aucun) concernant ses lectures "terroristes" dans le dossier syrien, qui, elles, n'étaient pas poursuivies en elles-mêmes, mais pesaient indirectement de tout leur poids dans la qualification de l'incertaine infraction de participation à une association de malfaiteurs (mais c'est une autre histoire).

Or le législateur a considéré que parmi les images horrible, il y avait une certaine catégorie d'images dont la vision, et surtout la conservation, ne pouvait pas procéder d'une analyse froide : la pédopornographie, justement. 

J'ai donc rapidement indiqué à mon client que cette ligne de défense était inopérante.

Un autre débat fréquemment soulevé dans ce type de poursuites avait en revanche de quoi être débattu ici. Il s'agissait de l'incertitude affectant les conditions dans lesquelles ces images étaient arrivées sur le support de mon client.

En effet, il n'est pas indifférent de noter qu'il s'agissait en l'espèce d'un disque dur amovible, qui en plus, avait voyagé de lieux en lieux, et probablement de mains ou mains, puisque le dossier d'instruction, qui pour cet aspect là, au moins, apportait une aide, prouvait que la voiture dans laquelle il avait été saisi avait fait des milliers de kilomètres et transporté beaucoup de personnes différentes.

L'expertise informatique était impuissante à en dire plus, et même assez sommaire, puisqu'elle ne renseignait pas sur le chemin des fichiers (date et mode d'accès à l'ordinateur initial, date et mode de transfert sur le disque dur externe), et ne pouvait se raccrocher aux habituels moyens d'incriminer les internautes, tels que le caractère explicite des mots clés, ou encore le classement des fichiers, la durée de conservation, etc. Il n'y avait aucune "prise" sur mon client.

Il n'en fallait pas moins une certaine indépendance d'esprit aux magistrats pour accepter de relaxer un prévenu dont le disque dur contenait des images de ce type; ils l'ont eue. Il faut parfois reconnaître à la justice ses qualités.

Il faut dire aussi qu'au moment où ils ont jugé cette affaire disjointe, le client s'était entre temps fait "allumer" dans celle d'association de malfaiteurs (8 ans d'emprisonnement). De quoi atténuer les "scrupules", même si le débat sur ce point est sans fin.

Surtout quand je fais face à l'incrédulité quasi unanime des gens "normaux" (donc non praticiens du droit pénal) à l'évocation de ce type d'affaire. Pour eux, le simple fait de chercher les arguments de défense précités, même recevables techniquement, c'est inacceptable, c'est quasiment comme participer à l'infraction. 

Ils oublient qu'un jour, c'est peut-être eux qui seront face au juge pénal, c'est peut-être leur ordinateur qui sera fouillé, et contiendra des documents qui les obligeront à s'expliquer (même si ce ne sont pas des images de ce type). Alors, le raisonnement qui aura conduit à écarter la condamnation de mon client, leur servira peut-être à ce moment là. C'est aussi pour eux, pour tous, qu'un avocat défend une affaire particulière, et que les juges peuvent prendre dans celle-ci une décision que sur le coup, la morale réprouve.

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 3

Historique

  • Du choix d'un régime matrimonial "insolite"
    Publié le : 12/12/2018 12 décembre déc. 12 2018
    Droit de la famille
    Du choix d'un régime matrimonial "insolite"
    Choisir la communauté quand on exerce une activité libérale, c'est un peu trop rock n roll, aux yeux des juges Je ne suis pas un spécialiste de la responsabilité civile des notaires; j'ai retenu cet arrêt surtout en ce qu'il apporte un éclairage intéressant sur les différents régimes matrimoni...
  • Chacun son tour !
    Publié le : 05/06/2018 05 juin juin 06 2018
    Droit civil / Procédure civile
    Chacun son tour !
    Défendeurs, réjouissez vous : la France est votre paradis Je râle suffisamment à longueur de messages sur la faveur faite par la justice française au défendeur, pour ne pas en profiter à mon tour, pour une fois, et puis quoi encore ! D'habitude, même comme défendeur, je n'aime pas beaucoup...
  • Il est sale, bête et méchant… mais on s’y est fait.
    Publié le : 30/05/2018 30 mai mai 05 2018
    Droit de la famille
    Il est sale, bête et méchant… mais on s’y est fait.
    Traduction un peu imagée, voire complètement subjective, du bilan d’une année d’application de la loi du 18 novembre 2016 ayant créé le nouveau divorce par consentement mutuel. Pour être honnête, il n’y a pas de bilan officiel ; il y a juste un sondage effectué auprès des avocats en droit de l...
  • Ah bah c'est la faute à la technique, j'y peux rien
    Publié le : 11/05/2018 11 mai mai 05 2018
    Droit pénal
    Ah bah c'est la faute à la technique, j'y peux rien
    Trop facile pour les enquêteurs de se retrancher derrière la nullité de leurs ordinateurs pour éluder les droits du gardé à vue, répond opportunément la Cour de cassation, quand du moins la procédure parvient jusqu'à elle Parce qu'avant, combien de juge n'y auront rien vu à redire. Et combi...
  • Pendant la grève des avocats, les classements sans suite continuent
    Publié le : 11/04/2018 11 avril avr. 04 2018
    Droit pénal
    Pendant la grève des avocats, les classements sans suite continuent
    Comment assurer la défense d'un client en CRPC un jour de grève de la robe noire ? En parvenant à convaincre le Parquet de renoncer carrément aux poursuites, pardi ! Certes, c'est limite. Un puriste me dirait : camarade, tu n'aurais même pas dû aborder le fond de l'affaire. Mon client, qui tra...
  • Tiens toi sage à l'aéroport
    Publié le : 14/03/2018 14 mars mars 03 2018
    Droit pénal
    Tiens toi sage à l'aéroport
    Toujours vérifier le consentement du client à un plaider-coupable. Ne vous contentez pas d'un avocat qui va découvrir votre procédure la veille de l'audience, quand ce n'est pas le jour même, pour se contenter de dire oui à 100 % des propositions du Procureur, ou, au mieux, gratter 100 € de ré...
  • Gérer techniquement un dossier bien sale
    Publié le : 14/02/2018 14 février févr. 02 2018
    Droit pénal
    Gérer techniquement un dossier bien sale
    L'infraction de détention d'image pédopornographique implique parfois un débat sur des paramètres informatiques Ce client m'aura décidément tout fait.  Impliqué dans une affaire de départ en Syrie pour aller y "approfondir sa pratique de l'Islam", capable de garder dans son ordinateur des d...
  • Déranger les époux combien de fois pour un divorce par consentement mutuel
    Publié le : 10/01/2018 10 janvier janv. 01 2018
    Droit de la famille
    Déranger les époux combien de fois pour un divorce par consentement mutuel
    Dans un divorce par consentement mutuel avec bien immobilier, il apparaît opportun de grouper, en une seule fois, signature du partage, de la convention de divorce, et dépôt chez le notaire. Même en consentement mutuel, où a priori la situation est moins conflictuelle qu'en contentieux, les ép...
  • Boire ou acheter une Rolls, il faut choisir
    Publié le : 13/12/2017 13 décembre déc. 12 2017
    Droit pénal
    Boire ou acheter une Rolls, il faut choisir
    Selon l'article L 234-12 du Code de la route, en cas de récidive de conduite en état alcoolique, la confiscation du véhicule est "obligatoire". Sauf si... ... sauf si la juridiction l'écarte, "par une décision spécialement motivée". Le mot "obligatoire" est donc trompeur - voire idiot. Il aura...
<< < ... 4 5 6 7 8 9 10 ... > >>